Par Selim Lander

Valérie John expose un ensemble de ses œuvres à la Fondation Clément en Martinique. Une exposition « rétrospective » dont les œuvres ne sont pourtant pas datées, car – travaillant couche après couche du papier récupéré et édifiant ainsi des « palimpsestes » dont la dernière feuille occulte la précédente en même temps que ce qui y était inscrit – V. John n’est jamais bien certaine de leur aboutissement. Ces feuilles de papier – qui sont tenues entre elles, comme l’explique l’artiste, par un mélange de colle arabique, de pigments indigo et de feuilles d’or – forment une surface plane dont l’aspect est proche du cuir. Les figures sont simples, parfois géométriques comme ce crucifix que l’on imagine dans une architecture religieuse contemporaine. Crucifix ou autre puisque les titres sibyllins choisis par V. John (dans ce cas « Tu brasses et presses des feuilles d’abîme… ») laissent libre cours à l’imagination du regardeur.

La « puissance poétique » de Valérie John (suivant une formule d’Ernest Breleur qui connaît très bien cette œuvre), doit s’entendre à un double sens. « Poétique », au premier abord, parce que cette œuvre inclassable nous emmène ailleurs, dans un monde inconnu où surgissent des sensations inédites. « Poétique » également au sens premier du terme, celui de fabriquer, puisque l’artiste travaille elle-même son support, un support qui constitue en même temps la matière de l’œuvre et finalement l’œuvre elle-même. À l’heure où les artistes contemporains les plus côtés sont devenus de simples designers faisant fabriquer par d’autres, on ne peut qu’admirer ce souci, chez V. John de faire tout elle-même.

Elle ne s’interdit pas pour autant, dans d’autres œuvres, de combiner divers supports, ainsi dans les séries « texte(s)-île(s) » et « pas un mot n’est figé, pas un mot n’est précis » qui intègrent des bouts de pagnes ou de tapis. À l’instar de la sculpture « Et si les griots », qui mobilise des figurines en bois d’origine africaine, ces œuvres composites font apparaître de manière tangible l’inspiration que V. John, artiste martiniquaise, est allée puiser, pour une part, au sein du Continent noir. « Se vouloir anthropologue de soi-même, s’ouvrir à toutes les mémoires et tisser », écrit l’artiste en introduction du catalogue de l’exposition, soulignant ainsi l’importance chez elle, comme chez tant de plasticiens antillais, du travail de mémoire.

L’Afrique est également présente dans cette exposition-installation par les paquets de tapis en sisal de différentes couleurs, tissés au Sénégal, marqués du cercle-signature de l’artiste. Enfin, dans « un nuage de voix fait ton bruit d’ouvrage… », installation dans l’installation, un mur est couvert jusqu’au plafond de chemises blanches parsemées de taches brunes jusqu’à ce que monte une lumière blanche, telle une vague qui recouvre tout. À chacun d’interpréter comme il l’entend cette conclusion en forme d’apothéose.

Selim Lander
Photos fournies par l’auteur
Valérie John, écriture(s) liminaire(s) – au seuil d’une pratique artistique Trans/Locale, Fondation Clément, Le François, Martinique, 22 septembre-12 décembre 2021,
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