Vous pouvez simplement déambuler dans le jardin des sculptures de la Fondation Clément et jouir de la sérénité et de l’harmonie de cet éden vert, classé jardin remarquable par le Ministère de la culture. Ce sera déjà en soi une heureuse expérience. Mais si votre curiosité artistique s’éveille, vous pouvez appréhender différemment votre promenade et les œuvres par des circuits thématiques : la conception sculpturale numérique, sculpture et mathématiques, la relation de l’œuvre et du spectateur, le reflet comme élément constitutif de l’œuvre, le recyclage de matériaux, l’anthropomorphisme, l’écriture dans l’espace.
Les sculptures les plus « traditionnelles » d’apparence sont peut- être les plus innovantes. Virtual Yoona de Catherine Ikem et Louis Fléri, Silène luminariis sive Muflier de Borgès de Miguel Chevalier, Heavy Metal Stack Of Six d’Angela Bulloch sont en effet des créations numériques. Au premier regard, volumes d’acier ou de bronze, elles dissimulent leurs secrets. A l’origine, Yoona est une base de données 3D obtenue par le moulage numérique du visage d’une jeune coréenne. Virtual Yoona est donc la matérialisation en bronze de ce modèle 3D, réalisée spécialement pour la Fondation Clément. Voici associés un matériau traditionnel de la sculpture, le bronze et la conception numérique. Et sous votre regard attentif, le soleil couchant révélera la face cachée de Virtual Yoona et vous percerez ainsi son mystère. Car Virtual Yoona a deux visages, celui du soleil levant et celui du crépuscule. L’œuvre de Miguel Chevalier appartient à la série des Fractal Flowers. L’artiste a modélisé les conditions de vie du vivant pour générer des formes complexes qui acquièrent ensuite une réalité matérielle à l’aide d’une imprimante 3D. Heavy Metal Stack Of Six d’ Angela Bulloch est un empilement de six lourds polyèdres de métal conçu avec un logiciel d’imagerie numérique. Heavy Metal Stack Of Six a été exposée dans le Jardin des Tuileries lors de la FIAC 2014 et une version Pink l’a été à Art Basel en 2015.

Catherine Ikam Louis Fléri
Virtual Yoona
Virtual Yoona
Bronze patiné
236 x 167 x 126 cm
2015
© Fondation Clément
Les polyèdres d’Angela Bulloch comme 218.5°Arc X4 de Bernar Venet allient mathématique et sculpture. La sculpture de Venet a toujours entretenu un rapport étroit avec les mathématiques et il fait graver sur l’œuvre la formule de son identité mathématique. Il emprunte la grammaire de l’art minimal : économie de moyens, rejet de l’illusionnisme et de la séduction, emploi de matériaux industriels et structuration de l’espace.
Certaines œuvres rassemblées dans ce parc interpellent le spectateur, entraînant sa participation active à des degrés divers. Ainsi le mouvement du spectateur modifie la vision qu’il a d’ Heavy Metal Stack Of Six d’ Angela Bulloch. La déambulation autour de l’œuvre perturbe la perception et donne l’impression que les formes s’animent : on ne sait plus si la colonne est en deux ou trois dimensions. La surface transparente recouverte de papiers vitrail de l’attrape – soleil aux quatre couleurs de Daniel Buren joue avec la lumière, le soleil, les nuages et inonde l’espace de taches de lumière colorée car l’attrape couleur est orienté en direction du sud pour capter le maximum de rayons solaires. Les alentours sont alors inondés de halos colorés et l’œuvre invite le public à suivre la course du soleil autour d’elle et dans le paysage environnant à la manière d’ un cadran solaire. Daniel Buren n’impose jamais un point de vue unique mais prévoit une multiplicité de points de vue parmi lesquels le public a la liberté de choisir.
Si le Huge Sudeley bench de Pablo Reinoso, explore les limites du matériau acier et ses capacités de torsion, il convie simplement le promeneur à s’arrêter sur le banc pour un instant de contemplation et de rêverie. Par contre, le Dimensionnal Mirror Labyrinth de Jeppe Hein joue à cache- cache avec le spectateur, fragmenté et démultiplié dans cet enchevêtrement d’images. Il en perd ses repères et s’égare entre espace réel et espace reflété.
La plupart de ces œuvres intègrent le reflet à leur processus de création. Le thermolaquage de la colonne sans fin d’Angela Bulloch reflète la lumière et la végétation environnante. C’est tout le feuillage qui se retrouve diffracté dans le Labyrinthe de Hein en acier poli aussi brillant et réfléchissant que des lames de miroir. L’essence même de l’œuvre de Buren, c’est le reflet et la transparence. Même l’œuvre de Christian Bertin joue avec ses ombres portées suivant la course du soleil.
La sculpture contemporaine a pour particularités de rompre avec la représentation du monde réel, de s’affranchir des modes conventionnels de la sculpture et de promouvoir de nouveaux matériaux parfois issus du recyclage. Trois voire quatre des sculptures du Parc sont fabriquées à partir de matériaux recyclés : Ombres de Christian Bertin, Arithmétique des croisements de Bruce, Modesto Meditación Horizontal de Modesto Ramón Castañer et Avançons tous ensemble de Luz Severino. Christian Bertin s’inspire de la tradition martiniquaise de la récupération et réutilisation des objets et produit une installation – assemblage à partir d’anciens fûts métalliques déjà recyclés en réservoirs d’eau avant d’être promus matériaux artistiques et qui dresse ses totems vaguement anthropomorphes sur un fond de ciel ou de verdure. Bruce donne un second souffle à des matériaux délaissés. La forge de quel Vulcain a-t- elle pu ainsi nouer, comme un léger lacet, le cylindre géant de Modesto Ramón Castañer ?
Entre récupération et anthropomorphisme, Luz Severino fait le lien avec Christian Lapie. Tous deux proposent une tribu en marche ( serait- elle prophétique ?) Jusqu’à l’ombre de Christian Lapie, un groupe de géants totémiques, taillés à la hache et à la tronçonneuse dans du bois brut et calciné, dressés comme des sentinelles, déploient leur taille immense et dialoguent de loin avec Les Ombres de Christian Bertin.

Luz Severino
Avançons tous ensemble
Métal oxydé et peinture
Dimensions variables
2011
© Fondation Clément
Thierry Alet et Jonone quant à eux étirent leur écriture dans l’espace. Le rouge Blood de Thierry Alet est un hommage au poème Rappel de Damas « Il est des choses dont j’ai pu n’avoir perdu tout souvenir » tandis que Jonone inscrit le nom du premier propriétaire des lieux, Clément, dans une œuvre commémorative commandée par la Fondation pour le 125ème anniversaire de la marque.

Thierry Alet
Blood
Panneaux de bois contreplaqué en bouleau, armatures métalliques, mousse polystyrène haute densité, toile de fibre de verre, résine époxy, apprêt polyester et peinture polyuréthane.
250 x 700 x 60 cm
2011
© Henri Salomon
Les œuvres anthropomorphiques de Bertin, Severino, Lapie sont de bois brut ou matériaux recyclés selon un mode de création traditionnelle : taille, soudure, assemblage. D’autres œuvres issues du recyclage adoptent une forme abstraite : Bruce et Castaner. Cependant les créations de Chevalier, Ikam, Bulloch sont assistées par ordinateur alors que l’abstraction de Bulloch et Venet structurent l’espace. Reinoso, Buren et Hein réclament la participation active et parfois ludique du spectateur. Les sculptures dont les effets sont les plus sophistiqués, celles de Bulloch, Buren, Hein, semblent composées de modules élémentaires mais sont le résultat de calculs complexes.
Tout ceci pour évoquer la diversité des propositions artistiques de ce parc propices à une initiation à la sculpture contemporaine et dont le mérite – s’il n’en avait qu’un ce qui n’est pas le cas- est bien de démontrer à quel point la sculpture contemporaine est loin d’être statique ou univoque mais au contraire ludique, multiple, susceptible de vous fournir mille et une approches.
Dominique Brebion
Article très interessant et utile.