Cela a été dit et répété : après son installation à Paris, Lam a fait la connaissance de Picasso. Cette rencontre ainsi que certains épisodes douloureux de sa vie, la perte de sa femme et de son fils, son engagement pour l’Espagne Républicaine l’ont conduit à renouveler sa pratique plastique et à se détacher d’un certain académisme. Il a alors exploré la voie de la revalorisation de l’esthétique africaine entre 1938 et 1940. Il a même été considéré par une certaine presse comme un « élève » ou un « protégé » de Picasso. Lam répondait alors : Il a été un exemple mais je n’étais pas son élève (1).
Cependant les différents entretiens de Wifredo Lam signalent à la fois le rôle de l’art Africain et de Pablo Picasso :
Ce qui a vraiment élargi ma peinture, c’est la présence de la poésie africaine (2)
Ce qui me permettait d’éprouver tant de sympathie pour la peinture de Picasso, c’est la présence de l’art et de l’esprit africains que j’y découvrais(3)
Wifredo Lam rapporte encore l’anecdote suivante :
Picasso, après m’avoir salué me conduisit dans une pièce où il gardait ses sculptures africaines. Je fus aussitôt attiré par l’une d’elle, une tête de cheval. Elle était posée sur un fauteuil. En passant à coté, Picasso fit bouger habilement le meuble et la sculpture se balança comme si elle était vivante.
Toutefois, plusieurs biographes, Pierre Mabille et Fernando Ortiz, affirment que Lam a contemplé des sculptures africaines avant son séjour à Paris, à Madrid notamment. Lam lui-même évoque certains objets qu’il aurait entrevus dans son enfance chez sa marraine, Mantonica Wilson. Son attirance pour l’art africain ne se démentira pas puisqu’il en deviendra un collectionneur passionné
Certaines caractéristiques esthétiques de la statuaire africaine se retrouvent dans la peinture de Lam dès 1938: frontalité, géométrisation, sobriété, structuration, synthèse. Les œuvres parisiennes de 1938 de Lam présentent une grande unité plastique. Les tableaux de cette période, à la composition très structurée, montrent le plus souvent une ou deux figures humaines plutôt hiératiques, très schématisées, au corps plat et géométrique, au nez long et anguleux, aux yeux en forme de fente, totalement chauves ou au contraire dotées de longue chevelure. Les épaules sont anguleuses et les bras rectilignes. Les éléments secondaires du corps sont gommés. La relation avec la statuaire africaine est évidente. Ni modelé ni effet de profondeur. L’accent est porté sur les rapports de plans et les aplats. Rigueur. Schématisation. Sobriété.
Mais des réminiscences de formes africaines perdurent dans l’œuvre de Lam postérieure à cette date même si le style pictural de Lam s’est totalement transformé à son retour à Cuba. Les critiques et les amateurs décèlent et répertorient plusieurs formes qui pourraient avoir une source africaine:
Un petit masque cornu ( Ogun féraille 1944 ou Le vent chaud 1948 ) rappelle le masque kplékplé du goli du Baoulé mais pourrait aussi évoquer le culte cubain ñàñigo.
Un visage en demi – lune (Femme ou Danseuse de 1942 par exemple ou encore Figure 1949), semble une déclinaison probable d’un masque Sepik mais entretient également une relation avec un rite cubain lié à la lune.
Est – ce bien le socle en forme de losange des reliquaires kota du Gabon symbolisant le corps qui inspire à Lam son fameux rhombe, tour à tour visage ( Femme cheval 1950, Le quimboiseur 1945 ), œil, sexe, porte, bouclier (Umbral 1950). Son origine ne serait – elle pas à rechercher aussi dans un cryptogramme anaforuana, un losange doté de diagonales avec un petit cercle dans chacun des quarts ainsi défini, motif que Lam aurait pu apercevoir dans les salles d’initiation ? Ou encore dans l’œil maçonnique des Lumières inscrit dans son triangle ?
Les formes hérissées des sculptures Yipwon, bassin du Sepik, Papouasie, Nouvelle Guinée ont pu inspirer à Lam la série Canaïma (1947).
La femme – cheval apparaît dans l’œuvre de Wifredo Lam dès les illustrations pour Fata Morgana et renvoie à l’anecdote de la visite chez Picasso et à la sculpture posée sur une berceuse. Une étude de 1942 Mujer santada con caballo associe un corps de cheval à une silhouette de femme. Ce sera une constante du vocabulaire plastique de Wifredo Lam que l’on peut interpréter comme une réminiscence des masques Baoulé ou Senoufo de Côte d’ivoire ou encore du cheval de Guernica mais aussi comme une évocation du phénomène de possession des rites afro – cubains ou vaudou.
La richesse de l’œuvre réside dans ce langage plastique original et composite, né de la fusion d’ascendances diverses. Derrière ces formes récurrentes qui deviennent familières se cachent des mythologies et des sens multiples.
Dominique Brebion
(1) Gérard Xuriguéra, Wifredo Lam, page 9
(2) Max –Pol Fouchet,Wifredo Lam, 1976 page 206
(3) Max –Pol Fouchet,Wifredo Lam, 1976 page 120
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