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Jamais une image ne remplacera l’appréhension directe de l’œuvre d’art.

A la plus parfaite reproduction, il manquera toujours quelque chose : l’ici et le maintenant de l’œuvre d’art, l’unicité de sa présence au lieu où elle se trouve. (1)

Cependant l’Aica Caraïbe du Sud va tenter de combler l’attente des amateurs d’art en donnant un aperçu partiel du Pavillon de Martinique à Dakar. Plus de cent cinquante expositions s’ouvrent à Dakar malgré le report de la Biennale. L’événement artistique phare du continent a été reporté in extremis mais les acteurs culturels se sont fédérés autour du hashtag  #TheOFFisON  pour maintenir leur programmation.

Ceci n’est pas un pays est une expérience esthétique qui permet de lever le voile sur l’identité caribéenne. D’un rivage à l’autre, de la Caraïbe à Dakar, dans le sillage de la traversée originelle, l’exposition et sa programmation suscitent l’éveil de nos consciences en jouant la mélodie du Black, Blues, Bless. Les pratiques pluridisciplinaires de ce territoire archipélique révèlent les traces d’une identité singulière, polysémique et polyphonique, traversée de tous les flux et reflux, transformant le tragique historique en semence artistique.

C’est ainsi que les porteurs de projet, La fabrique décoloniale et La station culturelle ainsi que les cinq commissaires, Eléna, ARNOUX, Éline GOURGUES, Valérie JOHN, Zaka TOTO, Jaimy-Lee VILO ROCHEFORT ont défini leur projet.

Que dit ce Pavillon Black, Blues, Bless de l’identité singulière, polysémique et polyphonique de ce territoire ?

On croit déceler en premier lieu comme la réminiscence d’une Afrique revisitée dans les œuvres de Chantal Charon, Jérémie Priam, Valérie John.  

Les quatre tableaux de Chantal Charron s’inscrivent dans une démarche patiemment développée depuis plusieurs années autour de l’invention d’un alphabet de figures-signes, signes-silhouettes, silhouettes esquissées, signes épurées, hiératiques, érigés, en marche ou en pause qui écrivent l’histoire d’une humanité en quête de soi. Et cela répond bien à la thématique du Pavillon d’une Martinique non pas définie à partir de ses limites comme lieu géographique sur la carte du monde mais au contraire placée au cœur d’une histoire croisée et d’héritages culturels. Et il y a dans les teintes, ocre, noir, gris, marron et dans le graphisme comme un écho à ce que nous imaginons de l’Afrique et du pagne depuis la Caraïbe.

Le pagne, c’est aussi le point d’amorce de la réflexion et de la création de Valérie John sur la mémoire et ses strates, sur le faire mémoire pour faire-œuvre, sur la conquête d’une identité individuelle à construire, tout comme le Pavillon lui-même tente de définir l’identité caribéenne.

Jérémie Priam lui aussi à travers ses objets, un masque et un bâton guerrier, veut explorer la mutation caribéenne, comme manière de survivre dans un territoire post-colonial. Dans l’imaginaire collectif, ces objets évoquent l’Afrique. Appropriation et primitivisme les caractérisent. Jérémie Priam présente également une vidéo imprégnée des croyances créoles dans le surnaturel.

Esprit Stratégique H54 cm L16 cm p 9cm 0.41 kg Jérémie Priam
Jérémie Priam, Charme guerrier H 50cm L19_5 P 14,5cm. 0.63 kg
Jérémie Priam in situ

Autre point de rencontre entre les œuvres du Pavillon, le graphisme. Ce dernier traverse les créations de Valérie John et d’Arthur Francietta. Depuis toujours des signes gravés à l’aide de pigments naturels empruntés aux teinturières africaines viennent clôturer le processus créatif chez Valérie John et font office de signature de l’œuvre. Sans signification particulière, ils sont inscrits dans l’urgence sur un temps très court pour que ne demeure que la trace du geste. Cependant depuis la Biennale de Dakar 2022, cette activité graphique devient plus autonome et omniprésente, noyée dans l’indigo, comme sous l’influence de la traversée de l’Atlantique.

Valérie John, Le cabinet de curiosités Biennale de Dakar 2022
Valérie John, détail de l’installation Pavillon Ceci n’est pas un pays 2024

La création des signes chez Arthur Francietta est le résultat d’études et de recherches longues et approfondies sur les systèmes d’écriture minoritaires, vernaculaires, non alphabétiques, peu connus, peu utilisés. Il explore les signes qui précèdent l’écriture et les idéogrammes comme par exemple des symboles   anaforuana cubains ou les vêvê haïtiens.

L’univers graphique présenté à Dakar ce mois de mai dans le cadre d’une performance a été élaboré au cours de résidences successives à la Martinique et à Dakar.  Le projet conçu par Maroussia Pourpoint, Michael Roch et Arthur Francietta aborde les problématiques environnementales et leurs effets sur la mangrove. Arthur Francietta a créé une graphie rituelle et prophétique nourrie de l’univers visuel amérindien et afro-caribéen. La performance, texte déclamé et signes au sol, s’est déroulée en extérieur autour de la piscine de B-Home.

Le Pavillon de Martinique mise sur la diversité des productions artistiques, incorpore tous les médias et tous les supports. Installation, performances, photographie, design…

Des pulsions sur un temps court initient les tracés colorés de Julie Bessard. La nouvelle présentation scénographique des circonférences séduit et suscite le désir de nouvelles créations expérimentales sur sphères.

Installation à la Sucrerie Lassale, Martinique 2023

Gwladys Gambie questionne la condition de la femme noire et puise son inspiration dans la nature qui l’entoure. Corps et flore s’entremêlent dans ses dessins

Gwladys Gambie

La photographie a aussi la part belle avec Natypha Michel, Jordan Beal et Nicolas Derné.

Nathyfa Michel, une photographe guyanaise, développe un projet sur les syncrétismes, la multiculturalité.  Ses images, comme les dessins de Gambie, interrogent l’identité de la femme afro-descendante dans une société amazonienne et caribéenne.

Natypha Michel En me promenant je suis tombée sur une croix, 2023

Nicolas Derné présente ici une toute nouvelle recherche photographique. La série Flow est une réflexion sur la mémoire et sur le temps. Mais aussi plus largement une réflexion sur la surproduction d’images dans laquelle nous vivons et sur la manière dont certaines d’entre elles dépassent ce statut d’image pour entrer dans le panthéon de la mémoire collective.  C’est une quête de fusion entre création documentaire, expérimentale et abstraite.  

Les tirages photographiques deviennent des toiles dynamiques, supports de nouvelles narrations. Des fragments d’expériences humaines se superposent, se sédimentent, laissant émerger les événements passés les plus proches et les plus marquants. Cette série évoque la transmission fragmentaire et lacunaire des cultures invisibilisées. Comment nos imaginaires constamment alimentés par les récits d’histoires prédominants inscrivent dans la mémoire collective certaines représentations fantasmées.

Au programme, il y avait également des projections de films, entre autres Valérie John, la femme indigo de Laure Martin Hernandez

Avec la frustration de n’avoir pu évoquer les créations design alors que c’est précisément la spécialité du lieu d’accueil B-Home et le projet de prolonger cette présentation par des entretiens, voilà un compte rendu partiel dans l’objectif du partage d’images même si jamais une image ne remplacera l’appréhension directe de l’œuvre d’art.

DB

Note

1 Walter Benjamin

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