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Minia Biabiany : Volcans et Territoires

Ce n’est pas à proprement parler une exposition mais une restitution de résidence. A l’invitation du CRAA, après trois semaines d’expérimentation au pied de la Montagne Pelée en Martinique, Minia Biabiany partage ses premières impressions et le fruit de ses recherches au Centre de Découverte des sciences de la Terre de Saint- Pierre, lors une conversation avec l’archéologue Benoît Bérard et à travers quelques œuvres.

Le travail de Minia Biabiany est à la fois politique et poétique, toujours en relation avec son territoire, la Guadeloupe et particulièrement un volcan, La Soufrière au pied duquel elle a grandi, mis en écho dans cette résidence avec un autre volcan de Martinique, La Montagne Pelée. Ses recherches se sont concentrées sur l’argile, deux sortes d’argile, qu’elle est allée quérir sur des sites autrefois précolombiens, qu’elle a ramenée dans le laboratoire du CRAA, qu’elle a mélangée, qu’elle a façonnée avant cuisson, donnant toujours la priorité au geste dans la construction de la forme puis mise en scène avec d’autres matières qui composent traditionnellement ses œuvres, le bois brûlé, le sable, le fil, la terre.

Minia Biabiany Volcans et Territoires CDST 2024

Le démarche de Minia Biabiany se fonde sur la recherche et la valorisation d’éléments culturels en train de disparaître : le tressage en bambou des nasses des pêcheurs, tristement remplacé aujourd’hui par du grillage métallique, les qualités médicinales de la fleur du bananier, la musique des conques de lambi.

Toli toli, installation avec video projection, X Berlin Biennale, We don’t need another hero, Berlin, Allemagne, 2018 ©Tim Ohler

Ses œuvres parlent de la colonisation et de ses conséquences, la monoculture de bananes, l’empoisonnement des terres au chlordécone et du processus de l’assimilation française, des relations qu’entretiennent les habitants des îles avec leur territoire et sa métropole.  Ainsi Doubout’ qui exprime cette injonction par la métaphore d’empreintes de poings levés en coton juxtaposés en une légère mais déterminée verticale. Mais aussi Toli toli où elle détourne une comptine enfantine pour inviter à ne plus tourner son regard vers un ailleurs mais vers son propre territoire. On perçoit aussi ce goût de la métaphore dans le titre, J’ai tué le papillon dans mon oreille où la Guadeloupe est désignée par la forme si particulière de l’île en deux ailes de lépidoptère.

On retrouve dans ces œuvres de fin de résidence les questionnements plastiques qui parcourent l’ensemble des créations de Minia Biabiany. Comment, dans une exposition, se crée la relation avec le corps du spectateur ? Comment crée-t-on   les conditions d’une attention particulière ? Comment amène-t-on le regard à se déposer sur un point singulier ? Comment conduit-on le corps du spectateur à recevoir une information précise ?  Ainsi les lignes de sable, ou parfois de terre dans d’autres installations, les fils tendus partout dans l’espace induisent un déplacement plus lent, plus attentif.

Le sable noir du Prêcheur dans cette restitution de résidence, outre cette fonction dans le déplacement du public, est tantôt matière, tantôt dessin et l’on retrouve ainsi ce goût du dessin déployé dans l’espace au moyen de matières autres que l’outil crayon/papier et déjà très présent dans d’autres expositions.

Minia Biabiany Volcans et Territoires CDST 2024

La topographie du lieu entre en compte chez Minia dans le déploiement des œuvres, toujours agencées en fonction de l’espace précis qui les accueille. Ici, la relation au paysage, au volcan a influencé la scénographie, appelant le regard vers le volcan à travers une immense baie vitrée où les formes simples se répondent. A travers elle, dialoguent la silhouette d’une fleur de bananier en bois brûlé, leitmotiv des créations de Minia et la fleur de bananier naturelle du champ en vis-à-vis.

Minia Biabiany Volcans et Territoires CDST 2024

Est – il pertinent d’évoquer, devant certains artefacts, une forme de primitivisme contemporain ?

On sait les débats et polémiques qu’ont suscité ce terme de primitivisme et l’exposition de William Rubin.  Cette appropriation créatrice contribue ici à reconnecter l’artiste à son héritage culturel amérindien de même que l’intervention de l’archéologue-anthropologue Benoît Bérard contextualise cette résidence et l’inscription de la démarche de l’artiste dans sa relation avec le territoire, souligne le lien entre des productions anciennes de céramique retrouvées lors de fouilles archéologiques et la création contemporaine.

Le CRAA, Centre de recherche en art actuel, présidé par Bruno Creuzet, épaulé par Henri Tauliaut et Jean- Marc Bullet a été créé en novembre 2018. Ce collectif d’artistes et de chercheurs a pour objectif de redynamiser les liens que l’art contemporain entretient avec les mondes de la recherche et de la culture en Martinique, de donner l’opportunité de travailler et de partager autour de problématiques artistiques dans des domaines tels que l’anthropologie, l’art, les sciences et les cultures numériques. L’association a aussi pour objectif de contribuer à amener les pratiques artistiques de la Martinique vers une reconnaissance internationale et de créer un lieu de résidence capable de répondre aux besoins d’artistes internationaux.

Pour cette résidence, le CRAA a choisi d’inviter Minia Biabiany. Minia Biabiany (1988, Guadeloupe) est une artiste visuelle qui vit et travaille en Guadeloupe. Elle a étudié à l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Lyon en France. Elle a reçu  le prix Sciences  Po Paris pour l’art contemporain en 2019.Son travail a été présenté à la Xe Biennale de Berlin, à TEOR/éTica à San José au Costa Rica, à Witte de Wite à Rotterdam, à Cràter Invertido à Mexico, à SIGNAL à Malmö, au Mémorial ACTe en Guadeloupe, au Centro León à Santiago en République Dominicaine, au Corcoran à Washington, à la Verrière à Bruxelles  En 2022, elle a présenté une exposition personnelle au Palais de Tokyo à Paris et sa première monographie multilingue Ritmo Volcan est parue aux éditions Temblores.

Dominique Brebion

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