Une série de gravures sur plexiglas de l’exposition Décolonisons le raffinement, présentée actuellement à la Fondation Clément, s’inspire très directement du roman d’Alejo Carpentier, Le royaume de ce monde, publié en 1949. Elles en sont l’illustration fidèle et le lecteur attentif peut, pour chaque gravure, retrouver le passage du roman correspondant. Hors c’est dans le prologue de ce roman que l’écrivain cubain a défini la notion de réel merveilleux. Et pour peu que l’on soit amateur de littérature latino- américaine et caribéenne, on se trouve confronté à trois notions proches dans leurs formulations comme dans les genres littéraires qu’elles recouvrent : Réel merveilleux, Réalisme magique, réalisme merveilleux. N’est – ce pas le bon moment pour apporter quelques précisions sur ces concepts qui ont suscité bien des querelles de critiques ? Qu’est – ce qui rapproche ou différencie le réel merveilleux d’Alejo Carpentier, le réalisme magique de Gabriel Garcia Marquez et le réalisme merveilleux de Jacques Stephen Alexis ?
Cette expression, le réel merveilleux, paradoxale réunit deux contraires.
« Le réel merveilleux que je défends est celui que nous trouvons à l’état brut, latent, omniprésent, dans tout ce qui est latino-américain. Ici l’insolite est quotidien et l’a toujours été ». Pour Alejo Carpentier, le réel merveilleux est en lien étroit avec les grands mythes indigènes et est caractéristique du continent américain. Il prend ainsi ses distances avec le surréalisme dont il a fréquenté le cercle à Paris.
La formule d’Alejo Carpentier, réel merveilleux exprime une approche similaire mais cependant divergente du réalisme magique de Gabriel Garcia Marquez. C’est, par exemple, le regard émerveillé que porte l’auteur sur le monde haïtien empreint d’éléments qui dépassent la rationalité et le conduisent à une forme « d’état limite ». C’est donc le rapport au monde qui crée le réel merveilleux.
Le terme réalisme magique sert en littérature à caractériser certaines oeuvres où la réalité est saisie avec toutes ses composantes surnaturelles, insolites, magiques.
Il est en quelque sorte l’acceptation au sein de la fiction de tout élément qu’une rationalité réductrice voudrait exclure au nom de la vraisemblance romanesque. Ce qui pourrait apparaître comme incroyable, invraisemblable, fantastique ou simplement exagéré est naturellement intégré et devient un des ferments mêmes du récit.
Le représentant majeur du réalisme magique est aujourd’hui Gabriel Garcia Marquez avec notamment Cent ans de Solitude.
Avant lui d’autres auteurs hispano-américains ont exploré cette forme d’écriture, par exemple Arturo Uslar Pietri et Miguel Angel Asturias .
La romancière chilienne Isabel Allende s’inscrit dans l’héritage direct du réalisme magique de Gabriel Garcia Marquez.
Si l’expression magischer realismus apparaît tout d’abord sous la plume de Novalis et si son essor et son succès sont incontestablement liés à la littérature, il n’en demeure pas moins vrai que Franz Roh l’a porté sur le devant de la scène en 1925 dans un essai critique sur les nouveaux courants picturaux post -impressionnistes pour désigner le retour à un certain réalisme mais teinté d’étrangeté et de mystère. Il donne comme exemples Otto Dix ou Georgio de Chirico. Sous nos latitudes et deux décennies plus tard, Wifredo Lam n’illustre – t il pas le concept plastique du réel merveilleux avec ces végétations foisonnantes peuplées d’esprits où tiges de canne et jambes longilignes, calebasses, papayes et seins ronds se confondent ?
L’élément essentiel qui différencie le réalisme magique du réel merveilleux est le recours constant pour le premier d’entre eux à l’humour, à l’exagération et l’hyperbole tandis que le second se construit sur un regard porté sur un monde jugé comme extraordinaire mais cependant accepté comme réel.
Cependant, en 2013 une journée d’étude consacrée au thème Réel merveilleux, Réalisme merveilleux et Baroque à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines du Campus de Schoelcher voulait démontrer qu’Alejo Carpentier et Gabriel García Márquez avaient une même vision de la réalité latino-américaine et que lo real maravilloso et lo realismo mágico se rejoignaient
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