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Escape, de Shuck One : Dépasser l’enfermement

Shuck one, atelier courtoisie de l'artiste photo SEKA

Shuck one, atelier
courtoisie de l’artiste
photo SEKA

L’exposition Escape de Shuck One, à la Case à Leo, située à la Fondation Clément était belle. On en demanderait plus. Emancipation, grand format faisant face à l’entrée, drainait le public. Les gens y revenaient sans cesse, aimantés. Mais mes œuvres préférées étaient les plus petites, les diasporas citadines 1, 2 et 3, où le parcours dans le métro fait si joliment écho aux déplacements des populations domiennes vers un eldorado qui les a enfermées.
En 1986, le Guadeloupéen Shuck One, seize ans à peine, devient omniprésent sur les lignes 2,9 et 13 du métro Parisien. Le graffiti est alors à son apogée. Les compagnies de métro de New-York et de Paris dépensent des fortunes pour effacer un art en éternel mouvement, alors que le MoMa expose ensemble dès 1980 le graffeur Seen, Andy Wharol et Basquiat.
Arrivé à Paris en 83, Shuck rencontre le Hip Hop et le tag qu’il assimile aux inscriptions politiques indépendantistes, vues sur les murs de sa ville, Pointe à Pitre. Il saura se faire une place dans le GOTHA du graffiti Parisien, former un crew, les DCM, puis un autre, Basalt, se faire remarquer. La rencontre de l’histoire avec son art en 1991, via l’exposition 10 ans de Graffiti Art, au Palais de Chaillot et l’invitation du graffiti au Musée des monuments français par Jacques Lang, était inévitable et appartient à l’histoire de l’art.

 

Exposition Escape. Présentation par l'artiste des toiles Diaspora, 1,2 et 3. Photographe Gerard Germain, courtoisie de la Fondation Clement .

Exposition Escape. Présentation par l’artiste des toiles Diaspora, 1,2 et 3.
Photographe Gerard Germain, courtoisie de la Fondation Clement .

Il fera très tôt le passage sur la toile avec une réussite dont nombreux ne feront que rêver. Car le graffiti, art éphémère par essence, répond aussi par essence à un besoin de permanence. Le grapheur à la base existe par sa signature. Elle l’identifie, le pose, lui permet de se faire une place dans une société pas très encline à accepter tout le monde. Shuck est graffeur. La signature, plus qu’un motif, révèle l’essence de son travail. Mais son attachement au graffiti n’exclut pas une ouverture grandissante à des nouvelles techniques, peinture acrylique, marqueurs, pochoirs, collages, et à une très grande complexification thématique.
De la bombe à la sauvette à ces toiles qu’on devine longuement, murement, réfléchies, que du chemin parcouru. Le passage à la toile peut-il dénaturer le graffiti ? Oui et non. Il revient à l’artiste de savoir garder le lien, remplacer l’urgence de l’exécution par l’urgence de la réflexion. Mettre le public en situation d’urgence. Je crois que c’est gagné. Shuck tient à garder un lien avec le graffiti et il y est : d’abord, la puissance du geste premier, la nervosité des lignes. Quelque chose dans la couleur ou dans les effets métalliques, dans les traits géométriques, réveille dans le public la sensation d’électricité et de vitesse. Puis le métro n’est jamais loin, dans ces toiles qui reprennent ses lignes. Shuck signe sur des plans du métro, enrichi le voyage dans les lignes souterraines par des références à l’immigration forcée, à un voyage original. L’écriture est toujours là, le geste amplifié par un questionnement qui s’exprime sur la toile par des ajouts de collage, de techniques diverses, de plans et tickets de métro, redessinés, brulés. Escape comme pour échapper à l’enfermement du plan, faire du voyage circonscrit du métro, un vrai dépassement, de soi, des limites imposées par la société, par l’histoire. Shuck, artiste qui se passe du qualificatif Guadeloupéen, a pourtant en commun avec les artistes de Martinique et de la Guadeloupe un gout marqué de l’histoire, le besoin de regarder en face le passé dont on voudrait s’affranchir.

Exposition de Shuck One à la Fondation Clément  Vue partielle de la case à Léo photo Gerard Germain , coutoisie de la Fondation Clement

Exposition de Shuck One à la Fondation Clément
Vue partielle de la case à Léo
photo Gerard Germain , coutoisie de la Fondation Clement

Il est toujours intéressant de rencontrer l’artiste. Le 18 septembre, à la Fondation, Fabrice Théodose était le médiateur entre l’artiste et un parterre de graffeurs Martiniquais. Shuck One est une référence en termes de graffiti et la plupart des gars de la street Martiniquaise y étaient. Shuck a un maintien plein de défi, il aime la provoc. Le personnage lui va bien ; le graffiti est un art social, une affaire autant de création que d’ego. Mais la rudesse affichée contraste avec le caractère très élaboré de ses toiles.

Le personnage prend place, s’impose. Devant les Martiniquais médusés il lance un « pas de graffiti sans métro » qui oblige quelques-uns des Madapaint boys à sortir des griffes. Et on se retrouve devant l’opposition graffiti/street art. Metro, couloirs souterrains, signature, bombes, contre murs, affiches, bombes, ère digitale. La plus grosse différence avec le street art, noyé par la déferlante graffiti des années 80 mais qui gagne du terrain depuis les années 2000, est, il me semble, générationnelle. D’un côté comme d’ l’autre, le maitre mot est la rue et les corollaires sont l’éphémère, la visibilité, le défi de l’ordre établi. Tous deux partent de situations initiales de risque, rapidité, anonymat, souvent de création collective. Tous deux ont évolué ; le graffiti vers les galeries, le street vers le web et l’archivage digital. Le street art est un peu l’héritier du graffiti. Avec un droit d’inventaire : exit le monopole du writing, bienvenus autres supports autres techniques. L’un comme l’autre au fur et à mesure qu’ils acquièrent respectabilité de mouvements artistiques, perdent contact avec le risque. En ce sens tous les deux s’éloignent de ces graffeurs purs et durs comme les pixadores Brésiliens qui ne se voient pas artistes, mais frondeurs d’une société qui les a déjà rejetés. A mes yeux le graffiti et le street art sont deux versants, pas si opposés, d’un art urbain en plein essor. Et dont Shuck est sans doute un des artistes les plus représentatifs.

Carte blanche à Shuck One au Palais Royal, 2007 - installation "Introspection" Courtoisie de l'artiste

Carte blanche à Shuck One au Palais Royal, 2007 – installation « Introspection »
Courtoisie de l’artiste

Shuck n’a pas peur de ses mots et quand on lui demande, c’est quoi la toile pour toi ? Il répond avec une sorte de gouaille bien à lui : la prospérité. La salle marque un temps d’arrêt. Là aussi, je trouve que le mot convient. Prospérité oui, et non pas seulement du confort matériel, mais pouvoir dire ce que l’on veut et être écouté, la prospérité ? Pouvoir poursuivre sa curiosité, jusqu’au bout. Sa manière à lui de refuser l’enfermement.

Matilde Dos Santos

 

Shuck One, atelier  Courtoisie de l'artiste

Shuck One, atelier
Courtoisie de l’artiste

Discussion

2 réflexions sur “Escape, de Shuck One : Dépasser l’enfermement

  1. Excellent texte, A relire et conserver. Marianne de Tolentino

    Publié par Marianne de Tolentino | 26 octobre 2014, 11 h 07 min
  2. Excellent artiste !!!

    Publié par quandlm | 28 octobre 2014, 15 h 47 min

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