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Quand le droit au respect de l’oeuvre est bafoué…

 

Le droit au respect de l’oeuvre est l’une des quatre prérogatives de l’auteur au nom de ses droits moraux. Il arrive qu’il ne soit pas respecté. Il existe des cas retentissants qui aboutissent quelquefois à d’interminables procès.

L’une des affaires les plus connues concerne une sculpture publique de Richard Serra, le célèbre sculpteur post- minimaliste américain.

En 1979, la General Service Administration ( GSA), une agence fédérale commande une oeuvre à Richard Serra pour l’espace public dans le cadre d’un programme initié une quinzaine d’année plus tôt Arts in architecture.  Des réalisations de Louise Bourgeois , Franck Stella, Claes Oldengurg ont alors déjà été intégrées dans différents sites.

Titled Arc, une plaque incurvée en acier Cor- Ten longue de trente – six mètres et haute de quatre mètres, est installée à Manhattan, à New – York, sur la Federal Plaza. Aussitôt manifestations de rejet et protestations se multiplient : pétitions, auditions publiques. La sculpture modifie la relation à l’espace et bouleverse la logique du lieu. La GSA décide le déplacement de l’œuvre en 1985. Richard Serra assigne alors la GSA en justice pour avoir rompu les termes du contrat conclu et son engagement à maintenir l’œuvre sur cet emplacement.
« Ce qui m’intéresse, c’est de créer un espace de comportement dans lequel le spectateur interagit avec la sculpture dans son contexte. La tradition de placer la sculpture sur un piédestal conduisait à établir une séparation entre la sculpture et le spectateur. Mes sculptures ne sont pas des objets devant lesquels le spectateur doit s’arrêter pour les regarder. » Richard Serra précise que ses œuvres sont des  site- specific  conçues pour un lieu unique et brandit son droit à la liberté d’expression.
Néanmoins, en 1989, Titled Arc et démantelée et stockée en attente d’un nouvel emplacement qu’il  n’a pas encore trouvé.

Richard Serra  Clara Clara Tuileries

Richard Serra
Clara Clara
Tuileries

Une autre œuvre de Richard Serra, Clara – Clara, propriété de la Ville de Paris, a connu des pérégrinations rocambolesques sans trouver un emplacement définitif, mais cette fois hors de tout contexte juridique. Initialement commandée pour le parvis du Centre Pompidou, Clara Clara, ne peut y être placée comme prévu en raison de son poids. L’œuvre est composée de deux plaques d’acier incurvées en sens inverse et mesure trente – six mètres de long sur trois mètres quarante de haut. Elle est présentée au Jardin des Tuileries pour la durée de l’exposition puis reléguée au Parc de Choisy dans le treizième arrondissement où elle restera de nombreuses années. Elle sera remontée au Tuileries en 2008 pour la durée de Monumenta dédiée alors à Richard Serra.
Le mur pour la paix conçu à Paris en 2000 par Jean – Michel Wilmotte et Clara Halter rencontre les mêmes  déboires que Titled Arc aux Etats – Unis. Constituée de douze panneaux de verre sur lesquels le mot paix est gravé dans une trentaine de langues et installée sur le Champ de Mars initialement pour une durée limitée, elle est finalement maintenue en place. Les riverains contestent cette obstruction de la perspective entre la Tour Eiffel et l’Ecole militaire. Des pétitions circulent. Les artistes portent plainte contre les termes de la pétition qu’ils jugent diffamatoires. Un procès est en cours.

Cruz Diez Colonne chromointerférante

Cruz Diez
Colonne chromointerférante

Plus récemment une oeuvre  de l’artiste cinétique, sculpteur et plasticien de la lumière, Carlos Cruz-Diez, d’une valeur de 200 000 €,  a été démantelée et jetée au nom de la sécurité. Colonne Chromointerférente était une colonne de six mètres de haut érigée depuis 1972 à l’entrée du Collège des Gondoliers à La Roche-sur-Yon.
Il arrive que des œuvres soient aussi malmenées dans le cadre d’expositions. Ce fut le cas en 1991 pour la plasticienne Hong Yön Park, invitée à exposer dans la Chapelle Saint – Louis de la Pitié Salpêtrière. Le lendemain du vernissage, l’Association des Amis de la Chapelle, organisateurs de l’exposition, choquée par les rangées de cuvettes de WC et de serviettes hygiéniques démonte précipitamment l’exposition sans attendre l’intervention de l’auteur des œuvres. Au cours du procès le droit de tout organisateur d’exposition, curator, conservateur de musée, galeriste (ici l’Association) à choisir librement ce qu’il expose a été reconnu, d’autant plus que les œuvres proposées dans le dossier de candidature de l’artiste étaient de nature très différente. Cependant le déménagement de l’œuvre relativement brutal  sans concertation avec leur auteur a été considéré comme une entorse au droit au respect de l’œuvre d’autant plus que ces dernières  ont été endommagées.
Il revient à l’artiste de faire respecter ses droits moraux, notamment le droit à la paternité de l’œuvre et le droit au respect de l’œuvre en les prévoyant dans des articles de son contrat de réalisation. L’œuvre doit être accompagnée d’un cartel mentionnant le nom de l’artiste, le titre de l’œuvre et la date de réalisation. C’est le respect du droit à la paternité. L’œuvre ne peut être modifiée ou déplacée sans l’accord de l’artiste. C’est le droit au respect de l’œuvre. Même si l’œuvre, produit et reflet d’une époque, choque et déplaît quelques décennies après son installation. Le groupe de trois statues de Charles Sarabezolles, Claude Grangé, Raymond Dellamare, implantées au Lycée de Bellevue en 1963 représente une femme drapée dans une robe longue, cheveux au vent, La France, flanquée de deux statues légèrement plus petites. L’une d’elles dite « L’antillaise » conçue par Sarabezolles semble une marchande de fruit et légumes en costume créole traditionnel. L’autre, également en costume créole traditionnel est une marchande de poisson. Il y a certes de quoi grincer les dents. Elles faisaient autrefois face à la mer et les bateaux et navires pouvaient les apercevoir. Aujourd’hui la construction d’un bâtiment  sur le terrain qu’elles surplombaient rend leur implantation particulièrement inconvenante. Elles sont maintenant face à un mur comme de mauvaises élèves au coin. Là aussi, le droit au respect de l’œuvre a été bafoué. Cependant deux des auteurs font partie des artistes reconnus de leur époque. Sarabezolles, artiste figuratif de l’entre – deux guerres et initiateur d’un renouveau de la tradition figurative classique au moment de l’émergence de l’abstraction a promu une nouvelle technique, la sculpture par taille directe du béton en prise. Il est par ailleurs l’auteur des statues monumentales en bronze qui surplombent le Palais de Chaillot.

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Dans ce domaine, chacun des acteurs, commanditaires, propriétaires, créateurs, public, a des responsabilités : vigilance des commanditaires lors de la sélection mais respect de la liberté d’expression de l’artiste; respect, entretien et restauration des œuvres pour les propriétaires;  conception appropriée au site pour les créateurs. De la considération et de la tolérance pour l’art public sont attendues des usagers car il s’agit d’un patrimoine commun.

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La responsabilité de l’entretien et de la restauration de l’œuvre sont de la responsabilité du propriétaire de l’œuvre. L’artiste devrait remettre au maître d’ouvrage un échantillon des matériaux utilisés, leurs caractéristiques ainsi qu’une liste des entreprises intervenantes. Un dossier complet de présentation de l’œuvre permettrait aux équipes qui se succèdent au sein d’établissements scolaires ou administratifs de ne pas être dans l’ignorance totale de l’origine des œuvres implantées en leur sein.
En contrepartie, l’artiste se devrait d’être attentif à l’intégration de l’œuvre dans son environnement et ne pas la concevoir comme un objet à déposer dans n’importe quel contexte.

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Les vicissitudes et tribulations de ces oeuvres questionnent le champ artistique. L’espace public peut – il être  le lieu de la libre expression de l’artiste  sans que les attentes et besoins des usagers soient pris en compte ? L’art public doit – il nécessairement plaire au plus grand nombre ?

Discussion

Une réflexion sur “Quand le droit au respect de l’oeuvre est bafoué…

  1. Je tombe sur votre article avec quelques années de retard sur cette énumération d’oeuvres déplacées ou dégradées et la défense des droits des artistes. Je me permets de dire dans le cas de Richard Serra que j’ai connu sa pièce à New York et l’autre, Clara Clara à Paris dans la parc de Choisy. La liberté de création de l’artiste n’est pas en cause, en revanche l’emplacement n’est pas à la discrétion de l’artiste. Dans les deux cas et surtout à Paris il y avait en problème indiscutable pour les usagers. A Paris dans ce parc les familles laissaient vaquer les enfants tout en les suivant du regard. L’immense sculpture cachait au regard une bonne partie du parc à quelque endroit se trouvaient les parents.
    Il y avait là un dénie de l’utilisation du parc qui soudainement est devenu quasi invisible, écrasé par cette pièce impressionnante. Il ya déjà si peu de parc pour déambuler en profitant des arbres, des aires de jeux pour les enfants.
    Voilà l’une des explications entendues à juste titre concernant cette pièce.
    Et j’ajouterai dans un m^me élan que sur la ligne du tram T3 plus de dix oeuvres ont été commandées et installées dans les années 2000 et quelque.Une pièce de Nancy Rubins « Monochrome for Paris n’a pas pu être placée sur le trajet du tram: les ingénieurs se sont trompés sur sa faisabilité à cet endroit Résulta, elle a été placée bien loin et sans aucun rapport avec la commande initiale. Remplacée par « Les rochers dans le ciel » de Didier Marcel sur cet emplacement. Donc une pièce supplémentaire est venue « boucher le trou ». Qui a payé ce supplément? Comment a réagi Nancy Rubins. Nous ne le saurons jamais. Encore moins le surcoût. Toujours sur le même trajet la musée Mac Val a installé « Les Lanternes » un grand parallélépipède en verre, un contenant prévu pour des expos temporaires. Il y en eu une seule, puis l’abandon de ce grand « aquarium ». Tagué, sali il a finalement été démonté, disparu. Son coût? Et du coté de l’arrêt Pont de Garigliano figurait l’installation « Le Téléphone » de Sophie Calle pour le concept et pour la sculpture Franck Gerhy. Plutôt loin de l’arrêt du tram, étrangement au milieu du pont, relativement peu fréquenté. L’installation peu compréhensible, plus que conceptuel n’a pas été comprise par les riverains, au point que des tags et des dégradations ont été « les commentaires » visibles de loin…Il est excessivement rare de voir un tel refus signifié par des dégradations. Résulta, la pièce a disparu. Et plus tard un entrefilet a indiqué qu’elle sera restaurée et installée vers Saint Sulpice à Paris. Ce qui n’a pas été fait…
    Ainsi de suite, ainsi de suite. Il s’agit là d’un problème double: certains artistes choisissent des emplacement peu adaptés, parfois c’est la commande qui est farfelue quant à l’emplacement. En découlent des problèmes de droits à l’image, mais surtout et c’est mon propos, la perte de sommes importantes pour les contribuables…puisque in fine c’est bien le contribuable qui payent ces échecs. Alors n’allons pas trop loin avec le droit de l’artiste sans analyser le contexte et ce qui s’est passé réellement. Puisque l’article cite « Le Mur de la Paix », de fait c’était bel et bien une installation provisoire, acceptée comme telle. Puis est intervenu le « poids social » de l’artiste, la pièce est restée…

    Publié par Jean-Paul RETI | 3 avril 2020, 16 h 04 min

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