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La Nuit Blanche de Ronald Cyrille

Une fois par an, pour annoncer l’arrivée de l’été, un évènement typique, gratuit, une fête des arts contemporains est organisée à Paris. C’est la Nuit blanche et cette année, c’était le samedi 1er juin. Pour cette vingt-troisième édition, les territoires ultramarins étaient à l’honneur sous la houlette de Claire Tancons, curator guadeloupéenne qui a mené la majeure partie de sa carrière aux Etats-Unis. Le public a pu découvrir plus de cent quarante projets artistiques audacieux autour de l’art et du sport, en collaboration avec, entre autres, des artistes ultramarins. Aborder la découverte des œuvres par thématique était une option motivante: l’insolite, les installations immersives, les installations artistiques dans les églises, le circuit pour les enfants.   Par exemple, la parade en skateboards sonorisés de Kenny Duncan, Wélélé, au cœur du Marais.  Kenny Duncan est un plasticien performeur, originaire de Pointe-à-Pitre.   Son enfance guadeloupéenne lui inspire une approche du carnaval comme art total. Ou encore, à Belleville, Marlon Griffith de Trinité-et-Tobago et sa performance déambulatoire et poétique, We Will Not Bow, autour des enjeux planétaires de l’eau des archipels. On reconnaît là le centre d’intérêt majeur de Claire Tancons, spécialiste de la performance processionnelle.

Mais c’est la Nuit blanche de Ronald Cyrille au Musée du Quai Branly-Jacques Chirac que l’Aica Caraïbe du Sud vous présente ici.

Ronald Cyrille, Nuit Blanche éàé’ Musée du Quai Branly

Au cœur du jardin du musée, Ronald Cyrille aka B.Bird a présenté une fresque et des découpes monumentales au rythme des percussions du gwo ka guadeloupéen. Des êtres hybrides, souvent bicéphales, mi-homme, mi-bête, tous dotés d’une mâchoire cannibale ont envahi le jardin obscur. Depuis ses premières œuvres, les personnages migrent d’une toile à l’autre, d’une fresque à l’autre, de l’atelier à la rue, au fil d’une narration qui s’invente au fur et à mesure qu’elle se développe.

Comme l’ensemble de la production plastique de l’artiste, cette proposition nouvelle, fresques et performance, aborde la question du double, de l’alter ego déjà développée à travers les diptyques, la série des Positifs-négatifs, les êtres bicéphales.

Ronald Cyrille Nuit Blanche 2024

On retrouve les figures récurrentes de l’univers de Ronald Cyrille. Le bateau omniprésent, à la fois réminiscence de son enfance à la Dominique, minuscule île de la Caraïbe, royaume d’audacieux pêcheurs, toujours d’une île à l’autre, de la Dominique à la Guadeloupe. C’est aussi une métaphore de son voyage continuel entre deux cultures, celle de la Dominique anglophone et celle de la Guadeloupe francophone, et plus largement entre une culture caribéenne complexe et son ouverture au monde.

Les découpes que le plasticien explore depuis 2009 donnent à contempler le vide. Quel sens   prennent alors l’ensemble et l’extrait après le déplacement d’un élément ? Quel sens derrière ce jeu entre les plans, le derrière, le devant, le centre et les périphéries ?

Ronald Cyrille Nuit Blanche 2024

Ces fresques et performances de la Nuit Blanche prolongent et revisitent le projet Lauréat du Programme Mondes Nouveaux du Ministère de la Culture, récemment finalisé de Ronald Cyrille.  Il s’agissait pour le plasticien d’incarner, de projeter son univers si singulier au moyen de différentes techniques : peinture, dessin, sculpture et vidéo. Tout ceci a été développé dans le cadre d’une résidence au Macte de Guadeloupe sur invitation de Laurella Rincon dans le prolongement du prix de l’Institut de la Culture Caraibéenne en lien avec le Perez Miami Art Museum.

Ainsi l’Accolade, inaugurée en février dernier en Guadeloupe, sur les pentes des Monts Caraïbes à Gourbeyre, est un volume de trois mètres d’envergure.  Le terme volume semble bien plus approprié que celui de sculpture. Le sculpteur en effet façonne par addition ou soustraction de matière, modèle, taille, moule, assemble, soude. Alors que l’Accolade, modélisé à partir d’une toile de Ronald a été imprimé en 3D en ABS ou acrylonitrile butadiène styrène par Van Lab, rue Garnier Pagès à Fort- de – France. Sous ce nom savant, ce filament, le plus couramment utilisé en impression 3D, est particulièrement résistant, solide, indifférent aux variations de température. Les trente-et-une parties ont été, après impression, assemblées à l’aide de colle et d’agrafes puis lissées et consolidées avant d’être expédiées en Guadeloupe où le montage final a été réalisé. Ce mode de création, appliqué depuis tout juste vingt ans au champ artistique avec l’apparition des fablabs, inaugure- t- il une nouvelle ère sculpturale ?

L’accolade Réalisation in process au Van Lab

 En dépit du titre de l’œuvre, la posture de ces deux personnages étranges évoque une figure de danse martiale traditionnelle, ladja ou   danmyé, plus qu’une amicale étreinte.

Ronald Cyrille L’Antre-deux, vidéo Mondes Nouveaux

C’est ce couple d’êtres hybrides dansant au sein d’une nature puissante, inquiétante, étouffante comme animée d’une vie propre que l’on retrouve dans la vidéo L’Antre-deux.  Le lien entre l’homme, l’animal et le végétal mais aussi l’histoire et la mémoire des indiens caraïbes premiers occupants de l’archipel, minuscule tablier cache-sexe rouge et corps enduit de roucou, sont ici mis en scène.  Toute la tradition créole du surnaturel insolite est ici revisitée, réactivée.

En dépit de la migration des personnages d’une œuvre à l’autre, en dépit de la reprise récente de la découpe et de ses effets, l’univers de Ronald Cyrille reste cohérent et fidèle à lui-même avec ses deux pôles, d’un côté une luxuriance insolite surréalisante et de l’autre, une proposition épurée aux contours nets et au fort contraste de bleu et rouge vifs.

Ronald Cyrille Nuit Blanche 2024

A chacun de laisser libre court à son imagination pour deviner ce qui se joue dans cet univers, obsessionnel et symbolique, étrange et fascinant.

Cette Nuit blanche se prolonge pour Ronald Cyrille par une résidence à la Cité internationale des Arts de Paris, puis aux Ateliers Médicis en Seine-Saint-Denis.  Dans le même temps, la Galerie Wawi accueille une exposition individuelle.  Une participation à la prochaine triennale de New-Orleans est en cours de programmation. Ebony G. Patterson, curator de Prospect 6, plasticienne de la Jamaïque, dont des œuvres ont été présentée à la Fondation Clément en 2010 lors de l’exposition d’artistes caribéens Vous êtes ici et sont entrées depuis dans de prestigieuses collections publiques et privées aux Etats- Unis, va prochainement rendre visite à Ronald Cyrille en Guadeloupe pour en définir les contours.

DB

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