A trente-sept ans, Julien Creuzet, plasticien de la diaspora caribéenne, va investir le Pavillon français de la soixantième Biennale de Venise. Né en 1986, Julien Creuzet a grandi en Martinique. Diplômé de l’École des Beaux-Arts de Caen, du Post-Diplôme des Beaux-Arts de l’Académie de Lyon et du Fresnoy-Studio national des arts contemporains, il associe sculpture, poésie, vidéo et son. Il déploie un travail dont l’hybridation est l’un des moteurs essentiels. Confrontant l’histoire, les représentations et les réalités sociales de l’ici et de l’ailleurs, il propose une œuvre dans laquelle se joignent poésie et politique, objets trouvés et dispositifs technologiques. Lauréat du Prix Marcel Duchamp en 2021, il a exposé, entre autres, au Palais de Tokyo, Manifesta 13, Musée d’Art moderne de Paris, Lafayette Anticipations, Biennale de Lyon, Centre Pompidou, Biennale des Rencontres de Bamako, Biennale d’art contemporain africain de Dakar.


Le 6 février dernier, la Maison d’Edouard Glissant accueillait au Diamant, Martinique, l’Institut français, Julien Creuzet, ses deux curators, Céline Kopp et Cindy Sissokho pour la conférence de presse de lancement du Pavillon français
Exposition
Une exposition, c’est la mise en relation de plusieurs formes. L’exposition est pensée comme un tout, comme une histoire, comme une ambiance, comme une fiction. Elle raconte une histoire et cette histoire peut prendre la forme d’une fiction. Un ensemble de formes est proposé. L’espace est pensé et donné à vivre avec une quantité de points de vue.
Une exposition est un jalon. « Aujourd’hui, je suis sur ce petit caillou, demain je serai sur un autre. Je poursuis mon chemin. On verra ce que sera la suite. »

Formes
Les formes créées par Julien Creuzet s’émancipent des formes standardisées, des catégories préétablies ou préexistantes. Composites, tridimensionnelles, hybrides, précairement équilibrées, mystérieuses, elles naissent de la collecte et du recyclage de matériaux naturels ou manufacturés
Leur imbrication par le regard établit entre elles des relations mouvantes et secrètes qui changent selon le point de vue et induisent de nouvelles lectures
« Je crée des formes qui résistent à la définition. Je cherche à remettre en question une forme et à comprendre ce que cela implique de repousser les limites et l’histoire qu’elle raconte. Je crée des ensembles complexes dans lesquels on peut voyager mentalement »


Matériaux
Julien Creuzet crée à partir d’une grande variété de matériaux parfois anachroniques. Certains sont intégrés immédiatement, d’autres restent des années dans l’atelier. « J’ai besoin de comprendre ces matériaux. J’ai besoin de comprendre pourquoi telle corde est tressée de cette manière, et pour ce faire j’ai besoin de la détresser. Et en la détressant, j’obtiens de la matière »
Il y a des matériaux simples, corde, bois, fibre textile, papier, métal, tissu ; des objets du quotidien, opercule de café, emballage de chips, étagère en bois Ikea, cigare, bouteille de Coca Cola ; des objets du quotidien détournés, écrans et téléphone portable ; des éléments récurrents, étagères en bois, coquillages, verre de Murano, roucou ; des fragments de paysage de la Martinique, pierres polies de la baie de Saint-Pierre, feuilles de la Forêt de la rivière de l’Alma.

Hybridation et porosité
La spécificité du médium, les frontières entre les médiums n’existent pas pour Julien Creuzet. « Je ne crois pas à la spécialisation. Je crois à la perméation de toutes les disciplines pour nous permettre d’élargir notre répertoire de formes. Je considère l’écriture comme la musique comme un médium, au même titre que la photographie, la réalité virtuelle, la sculpture, le dessin. Collaborer avec des chorégraphes, des musiciens, des designers et des penseurs pour générer une œuvre qui ressemble davantage à un film, une pièce ou un album m’intéresse.J’aime beaucoup mélanger les disciplines pour former un écosystème. »
La pratique artistique de Julien Creuzet abolit les frontières entre les médiums., déconstruit les notions d’œuvre et d’exposition.

Poésie et écriture
L’écriture est une manière de ne pas réduire la forme uniquement au visible.
« J’écris des textes car j’en éprouve un réel besoin. Je n’utilise pas le papier et le stylo, j’écris souvent sur mon smartphone, puis sur mon ordinateur, et je considère cela comme un matériau pur. Ensuite, il y a le moment où je génère des formes alors je tente de faire rencontrer ces différents moments en un même temps. La poésie permet de véhiculer un imaginaire, une complexité, des choses qui peuvent être difficiles à formuler de manière frontale. »

Titre
Les titres sont des poèmes, des formes à part entière. Ce sont des œuvres.
« Dans mon travail, une forme n’est jamais seule, elle est toujours accompagnée d’un texte. Les pièces sonores sont plutôt du rap étendu qui s’émancipe des codes de construction. Les titres ajoutent une dimension nouvelle. Ainsi, un titre poétique de plusieurs pages accompagnant une sculpture permet à cette forme d’exister avec une histoire dotée d’une interprétation longue et multiple. Mais ces textes cassent l’explication de l’œuvre : ils ne sont pas là pour dire ce que sont les formes. Le texte est une histoire qui permet d’injecter cette forme dans un monde plus vaste »
Ainsi ce titre :

« Backup, Blackness ou Négritude, bleu, vert, orange,je suis fatigué, A female Negro Slave, with a weightchained to her Ankle, Blackness ou Négritude, nuances de vert de la mer, cadavérique, Amérique, Agave, Backup, bleu, vert, orange, je suis fatigué, rose chair, gris métallique en peer-to-peer, Auellaine des Indes de Acosta, stress oxydatif, Blackness ou Négritude, des mutagénèses. Barre de justice, colliers et cadenas pour enchaîner les esclaves à bord des navires négriers, persistance rétinienne, dans le dedans des songes, Blackness ou Négritude, Phasme Arumatia duplex, The Sugar Cane, in its four different Stages, rayonnements ionisants Blackness, Cassia Alata, rhum, bicarbonate ou Négritude s’écroule en part des anges, je suis fatigué, La même barque de négrier arabe, coupe théorique, pour faire voir l’entassement des malheureux esclaves accroupis et cachés entre les planchers, Blackness bains de feuilles ou Négritude antibiotiques, Pigments et Névralgies, the genotoxic, Backup Blackness ou Négritude, L’AURORE, le CBD atténue les douleurs (…) »
2021
Ensemble de sculptures en plastique, métal, tissus, vêtements personnels, coquillages, verre et pierres polis de la baie de Saint-Pierre, perles, citron, feuilles de la Forêt de la rivière de l’Alma, mue de cactus de Normandie
Courtesy de l’artiste et de la galerie High Art Paris/Arles
Déambulation
Le spectateur est invité à déambuler dans l’exposition, à la vivre et à l’explorer comme un paysage où cohabitent vidéos, sculptures, textes ou performances, à la fois autonomes et parties d’un ensemble.

Ce que disent les œuvres
Les migrations, les histoires minoritaires oubliées, l’altérité, l’identité, l’héritage du colonialisme, les tensions de notre époque, la standardisation.
« Je ne les considère pas comme des thématiques, je cherche juste à traduire ce qui me touche, ce qui me fait chialer, ce à quoi je suis confronté tous les jours et ce que je vois »

Le Pavillon de la Biennale de Venise
Au cœur de la préparation de ce Pavillon de Venise, qui sera immersif et sensoriel, il y a l’idée de rencontre, de partage, de joie d’ouvrir de nouvelles voies à travers l’oralité et la musique. Comment partager ce Pavillon, comment étendre l’accès et dépasser l’espace physique ? Un livre d’artiste et soixante – dix pièces sonores largement diffusées sont en cours de réalisation.
DB

Thank you. EM
Publié par eliane@kai-saskia.com | 25 février 2024, 6 h 03 min